Théâtre[création] Janvier 2026Dès 10 ans - CM11h10 + discussion
Autrice : Lise Martin
Texte publié aux Éditions Lansman

Spectacle

Azaline se tait

Azaline se tait ouvre notre cycle de création nommé « Ce n’est pas pour les enfants ! ».
Minoré, essentialisé, l’enfant est-il vraiment considéré ? Nous croyons profondément à la capacité de chacun à développer une pensée complexe quel que soit son âge. Nous avons cette conviction qu’il est nécessaire de proposer à l’enfant des représentations symboliques qui lui permettent de prendre une distance avec le réel pour mieux pouvoir appréhender la violence du monde. Nous affirmons que nous pouvons parler de tout avec un enfant mais que nous avons la responsabilité de ne pas le désespérer, de ne pas lui enlever l’idée qu’il peut trouver en lui-même la capacité de grandir et de devenir.

 

Tout commence comme un jeu d’enfant. On est dans la cour de l’école. Il y a le loup, la princesse, les trois petits cochons… autant de références aux contes traditionnels qui pourraient nous faire croire à d’innocents jeux d’enfants. Mais les contes sont souvent cruels et violents, ils se font l’écho des morsures de nos âmes. Et une morsure, Azaline en a une, dans son âme comme dans sa chair. Derrière cette morsure se cache un secret, une douloureuse histoire : celle de son père qui tous les soirs est ce loup qui rôde et ouvre la porte de sa chambre – elle ne grince plus, il l’a réparée. C’est d’inceste dont il est question dans ce texte, l’air de rien. D’ailleurs, qui saura voir la faille d’Azaline ? Un adulte ? Peut-être pas…

Genèse et note d’intention

Le tabou de l’inceste, ce n’est pas de le commettre, mais d’en parler.
Extrait du Podcast OU PEUT-ÊTRE UNE NUIT
Charlotte Pudlowski, Louie Média

En 2008, nous nous emparons d’Azaline se tait dans un cycle de lecture théâtralisée. Le fil rouge de ce cycle : la capacité des enfants à faire appel à l’imaginaire pour mieux pouvoir appréhender la réalité. A l’époque, nous lisons ce texte poignant de Lise Martin dans quelques classes, puis nous nous mettons en arrêt. Chaque lecture donne lieu à un signalement. Un enfant rompt le silence et se livre à son enseignant, son enseignante, qui se retrouve dépositaire du secret familial sans forcément avoir les outils pour s’en emparer et accompagner l’enfant ; sans que les signalements ne provoquent l’intervention attendue de l’institution concernée. A cette époque, nous n’avions pas trouvé les bons interlocuteurs pour nous accompagner dans ce travail et accompagner plus précisément les enfants dont la parole se libérait et leurs enseignants qui en étaient dépositaires. Le pire se créait : les enfants parlaient et leur parole n’était pas considérée, elle n’était pas entendue, ils·elles n’étaient pas protégé·e·s. L’incapacité collective des adultes que nous étions à les accompagner les réduisait de nouveau à un silence profond.

Et si on ne peut pas compter sur les incestés pour se taire toute leur vie, alors l’incesteur doit faire en sorte que, s’ils parlent, leur version des souvenirs communs ne soit pas plus crédible que celle de l’incesteur, mais qu’elle soit tout au plus équivalente en termes de crédibilité. L’équité des versions profite toujours à l’incesteur car, à choisir, aucun membre de la famille ne souhaite compter parmi elle un violeur d’enfants.
In LE BERCEAU DES DOMINATIONS – Anthropologie de l’inceste
Dorothée Dussy, Les Éditions La Discussion, 2013

L’inceste, en tant qu’exercice érotisé de la domination, est un élément clé de la reconduction des rapports de domination et d’exploitation.
Ibid.

Aujourd’hui la compagnie s’est entourée, les membres de l’équipe se sont formés. Nous pensons qu’il est temps de faire entendre la voix d’Azaline et de participer à ce mouvement qui invite à rompre le silence. Un silence qui participe à laisser l’inceste dans le fait divers là où les chiffres nous disent pourtant tout autre chose : une personne sur dix est concernée. Il ne s’agit donc pas de faits divers mais d’une pratique bien instituée dans les familles françaises. Si l’art est un écho d’un monde dans lequel on ne se reconnaît pas – comme le dit le poète Laurent Marielle-Tréhouart, alors il est temps que l’art se face l’écho de l’inceste auprès des plus jeunes comme des plus âgé·e·s. Le texte de Lise Martin sera, pour nous, cet écho.